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Piotr Anderszewski






voyageur intranquille


Tout chez Piotr Anderszewski est hors normes, non pas anormal, mais pourrait-on dire, spontanément, « normalement » hors normes.

Et en tout premier lieu évidemment, son talent de musicien. Désormais reconnu de façon à peu près universelle comme l’un des tous premiers pianistes de notre temps, il est avant tout un musicien, presque détaché du véhicule qu’il utilise pour exprimer sa pensée musicale. Ce n’est pas le piano, ni la musique de piano qui l’intéressent, mais la musique tout court, et si possible celle qui ne se soucie pas d’exploiter les ressources, habituellement si flatteuses, de l’instrument.

Hors normes, les débuts de sa carrière. Agé de seulement 20 ans, Piotr Anderszewski, alors tout à fait inconnu, participe au prestigieux Concours International de Leeds. Parvenu au stade des demi-finales du Concours, il inscrit à son programme les Variations opus 27 de Webern, ainsi que les monumentales Variations Diabelli. Le succès obtenu auprès du public comme de la presse est fulgurant. Il ne fait alors plus aucun de doute que, non seulement il accédera à la Finale du concours, mais qu’il s’y verra décerner le Premier Prix. Mais au moment où le Jury annonce les résultats qui le sélectionnent pour la Finale, Piotr Anderszewski a déjà repris le train à destination de Varsovie. Les offres d’impresarios affluent, de même que les propositions de contrats d’enregistrement. Il n’en a cure. Il est reparti à la poursuite de l’essentiel : l’approfondissement de son art. Malgré tout, une carrière est bel et bien lancée.

Hors normes, son répertoire. Les programmes de récital qu’il donne sont savamment composés à partir d’œuvres fanatiquement préparées et qui ont rarement pour source le répertoire passablement rabâché du récital de piano.

Hors normes, son intelligence et l’attrait qu’il exerce sur le public.

Hors normes enfin, la manière dont il soumet son activité d’interprète à un constant questionnement.

Tout cela, pour donner une idée de l’originalité du personnage, qui en fait le digne successeur, si l’on tient absolument à ce genre d’étiquette, des Richter, Michelangeli et autres Glenn Gould, autrement dit des plus importantes personnalités pianistiques du passé le plus récent.

Il n’était naturellement pas question de tenter de cerner la réalité d’un personnage aussi complexe en ayant recours aux recettes habituelles du portrait filmé. Un film qui lui serait consacré ne pouvait dès lors, lui aussi, qu’être hors normes. En accord avec Piotr, et avec sa très active participation, sinon à l‘écriture, du moins à la conception du scénario qui structurerait notre film, je retins pour celui-ci deux options fondamentales.

en tournage à Lisbonne, juillet 2008


Il s’agirait d’un film frontière, quelque part entre le documentaire et la fiction; le film aurait pour cadre un voyage hivernal à travers la Pologne, puis jusqu’en Hongrie, les deux pays dont Piotr est originaire, avant de nous rendre en Allemagne, à Londres, Paris et finalement Lisbonne, où il a décidé récemment de résider. Mais ce périple serait effectué selon un moyen de transport pas vraiment conventionnel. Piotr, tel un troubadour des temps modernes, ne se déplacerait ni en avion, ni en voiture, mais à bord d’un wagon particulier loué pour la circonstance, et qu’il ferait accrocher à tel ou tel train, en fonction des lieux qu’il souhaitait visiter ou dans lesquels il avait prévu de donner des concerts. La planification des concerts des années à l’avance, le caractère figé des salles de concert conventionnelles, sont autant de facteurs qui semblent à Piotr devoir être enfreints pour redonner à la musique sa dimension vivante, et pour casser le caractère routinier de l’activité du musicien en tournée.

Disposant d’un piano de travail installé dans son wagon, Piotr y travaillerait, s’arrêterait au gré de sa fantaisie, une église ou une place de village, en des lieux évocateurs de tel ou tel compositeur. On y débarquerait le matériel nécessaire pour y donner des récitals impromptus.


Un wagon ne pouvait évidemment constituer le décor unique d’un long métrage. Moyen de déplacement, il permettait d’avoir recours au flash back, comme pour circonscrire toute une série d’activités sédentaires : répétitions, séances d’enregistrement et de montage d’un disque etc. Mais, ce serait avant tout un lieu de méditation. D’où la deuxième option que nous avons retenue : il n’y aurait pas dans le film de situation d’interview. Tout ce que Piotr Anderszewski s’apprêtait à révéler de lui-même ferait l’objet d’une narration en voix off qui rythmerait le déroulement des diverses scènes envisagées.

Une structure cinématographique qui intégrait la métaphore ferroviaire, les activités musicales et le récit, était évidemment indispensable, car il était bien dans mon intention de faire en sorte que ce voyage hivernal ne relève pas de la simple anecdote touristique. J’étais bien-sûr convaincu que la juxtaposition de la poésie de l’hiver dans les contrées d’Europe orientale que nous visiterions, et du caractère éminemment cinématographique du parti qu’on pouvait tirer d’un train mis à notre disposition, filmé de l’intérieur aussi bien que de l’extérieur, ne manquerait pas d’avoir une grande force esthétique. Mais nous ambitionnions davantage. Nous faisions un film sur un musicien fascinant, un homme tourmenté et énigmatique. Il ne pouvait être question de sacrifier la musique à une simple esthétique de l’image. La musique devait rester le thème principal de cette aventure, et ce serait le savant mélange de tous ces ingrédients qui procurerait au film sa teneur émotionnelle.

en tournage sur les plages de Lisbonne, juillet 2008


Le répertoire musical au menu du voyage, des répétitions et concerts qui y sont donnés, s’appuie principalement sur des pages essentielles - et inattendues - de Bach, Mozart, Chopin, Beethoven, Brahms, Schumann et Szymanowski.

Quant aux réflexions très personnelles qui ponctuent ces plages musicales, elles naviguent dans les mêmes eaux profondes. Que leur auteur soit remercié ici de s’y être livré avec autant de pudeur que d’abandon.

Bruno Monsaingeon. Juin 2009
à propos du film « Piotr Anderszewski, voyageur intranquille »


sur Piotr Anderszewski :



www.anderszewski.net





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